A l’occasion de sa seconde conférence à Paris dédiée à l’innovation technologique au service de l’expérience client et collaborateur, Forrester a réuni une centaine de dirigeants des plus grandes entreprises françaises pour échanger autour des dernières tendances et présenter les résultats de son baromètre de l’expérience client, le CX Index. David Truog, VP, directeur de recherche chez Forrester, a fait un constat alarmant. Malgré une nette amélioration entre 2018 et 2019, seuls 6% des consommateurs français estiment avoir une bonne expérience avec les marques présentes en France ! Ces dernières accusent un retard visible par rapport à la plupart des pays où nous avons mis en place ce baromètre, et en particulier avec le Royaume-Uni.

La France est également l’un des pays où le pourcentage des décideurs marketing qui se disent responsables de l’expérience client est le plus faible : 33% contre 44% au global, selon une étude Forrester Analytics menée auprès de plus de 1900 décideurs marketing en septembre 2019. Plus largement, je pense que les dirigeants des entreprises françaises ne priorisent pas suffisamment l’expérience client comme une discipline transverse, nécessitant davantage d’ambitions, de moyens et surtout une évolution des modèles culturels et organisationnels. Luc Damman, Vice-Président et Directeur Général Europe du Sud et de l’Ouest pour Adobe (partenaire de l’événement), a d’ailleurs partagé ce constat, tout en soulignant l’importance de considérer le CX management comme le nouveau levier de croissance des entreprises. Cela nécessite un profilage en temps réel des clients, une plus grande agilité des contenus, un marketing cross-canal et la capacité à personnaliser les insights.

Je pense que c’est vrai aussi pour l’innovation technologique. Bien sûr il y a un superbe écosystème de l’innovation en France avec des scale-up et des licornes, et des start-ups qui arrivent à lever de plus en plus facilement des dizaines de millions d’euros, mais je pense que les groupes du CAC 40 sont encore trop frileux dans leur capacité à faire évoluer leurs process, l’état d’esprit pour l’innovation, la culture de l’apprentissage. Incuber des start-ups, investir dans certaines d’entre elles et organiser quelques hackathons ne suffit pas à transformer en profondeur une organisation. Cyril Bourgois, directeur de la stratégie, de l’innovation et de la transformation digitale du groupe Casino l’a parfaitement résumé : il faut oser davantage ! Amazon n’est pas juste un leader du retail, c’est aussi le leader du cloud et il n’y pas de raison que les retailers français s’interdisent d’aller sur des marchés adjacents. A l’extrême inverse, mon collègue Frédéric Giron a évoqué le modèle d’Haier en Chine, qui fédère des milliers de microentreprises organisées en plateformes.

Si je devais insister sur 3 points qui me paraissent essentiels:

  1. Pour industrialiser l’innovation technologique, l’enjeu est de repenser le modèle culturel et organisationnel au service du client.
  2. L’expérience collaborateur est un nouveau territoire à la frontière du marketing, de la technologie et des ressources humaines.
  3. Les leaders incarnent les valeurs, donnent du sens et fidélisent clients et collaborateurs.

Merci à tous les analystes et speakers qui se sont succédé pour partager leur vision.

Pour autant, difficile de résumer une journée entière d’échanges et de discussions à ces 3 points, mais voici quelques-unes des tendances clefs évoquées pour 2020:

  • Les consommateurs français veulent de plus en plus donner du sens à l’acte d’achat. 62% des français considèrent les valeurs d’une marque avant d’acheter ses produits. Ce phénomène n’est ni nouveau ni limité à la France, mais il s’accélère ici plus qu’ailleurs. Les citoyens ont davantage besoin de considération mais leur défiance naturelle les poussent à accueillir avec scepticisme les discours des marques qui ne délivrent pas leur promesse. C’est d’autant plus vrai qu’avec la loi Pacte et la frénésie autour des entreprises à mission, certains risquent de sur-promettre. Attention à l’effet boomerang si on s’engage pour le climat ou le respect de la vie privée et qu’au final, on n’audite pas bien ces processus et ces fournisseurs.
  • Les collaborateurs des entreprises françaises sont également à la recherche de valeurs et de sens. Ils accordent aussi de plus en plus d’importance à leur environnement de travail et aux outils leur permettant d’effectuer leurs tâches. Forrester a démontré la corrélation très forte entre une bonne expérience collaborateur et une bonne expérience client. Belen Moscoso del Prado, Chief Digital and Innovation Officer, chez Sodexo, est revenue sur l’initiative Waste Watch lancée à travers le monde pour lutter contre le gaspillage alimentaire, en impliquant collaborateurs et clients grâce à l’utilisation de la data et de l’intelligence artificielle. Plus de détails sur cette initiative ici.
  • L’un des principaux défis des entreprises françaises reste précisément la capacité à fédérer les employés autour d’une culture de l’expérience client. Le rôle du dirigeant et l’évolution de la culture de l’entreprise sont parmi les facteurs clefs de succès de la réussite de telles initiatives. Octave Klaba, fondateur et président d’OVHcloud avait déjà courageusement partagé dans une interview les dangers de l’hypercroissance. Il est revenu plus en détail sur la manière dont OVHcloud met en œuvre sa vision, centrée autour des valeurs de liberté et de sécurité qui l’ont amenée à créer sa société il y a plus de 20 ans. Il a notamment détaillé la nécessité d’écrire une charte des valeurs et de formaliser a minima la culture de l’entreprise pour s’assurer de fidéliser les talents recrutés et de leur capacité à délivrer une expérience différentiée face aux mastodontes américains et chinois.
  • L’un des enjeux principaux pour 2020 sera également de mesurer la valeur de l’expérience client. Il ne faut pas seulement mesurer l’advocacy mais aussi l’impact sur l’engagement et la fidélité, et plus largement analyser la corrélation entre mesure de l’expérience client et KPIs opérationnels et financiers. Sinon le risque est grand de voir les patrons pays ou les directeurs de business unit ne pas comprendre l’impact de la CX sur leur modèle économique et ne pas prioriser les initiatives et projets autour de l’expérience client. La modélisation de cet impact est complexe, en particulier sur les revenus et certains acteurs comme Orange commence à la définir. En revanche, il est plus facile de mesurer les économies réalisées. Par exemple, France Heringer Jallot, Directrice Qualité expérience clients et ventes de l’opérateur, évoquait le fait que la digitalisation avait permis d’économiser plusieurs centaines de millions d’euros sur les coûts liés aux appels client.
  • L’innovation technologique s’accélère mais la priorité reste de personnaliser l’expérience client en transformant la data en insights. Chatbots, assistant vocaux, réalité augmentée, il y a pléthore d’innovations technologiques. Certaines comme la 5G, les écrans pliables ou la réalité virtuelle seront des non tendances en 2020. Pour réellement tirer parti de l’automatisation, de la robotisation et de l’Intelligence Artificielle, encore faut-il maitriser les processus et la gouvernance autour de la data. C’est l’une des principales priorités (et difficultés) des entreprises françaises : la manque de maîtrise de la data, l’incapacité à mesurer les résultats et la faible qualité ou l’inaccessibilité des données.

Superbe résumé en image ici par Adobe.