Bien qu’il y ait déjà plus de 12 millions de chômeurs partiels, de nombreux français ne semblent pas encore réaliser l’ampleur de la récession économique qui s’installe. Ils vont sortir progressivement du confinement pour entrer dans la crise, qui s’aggravera si la confiance n’est pas au rendez-vous ou si le déconfinement est trop progressif.

Une étude récente a montré que les priorités des français avaient évolué significativement plaçant l’épidémie, le système de santé et le changement climatique loin devant le chômage ou l’insécurité. Pour autant, « le monde d’après » ne signifie pas pour autant un monde meilleur, et pourrait bien au contraire, signifier un retour en arrière. Allons-nous à moyen terme vers les sombres années 30 qui ont suivi la dépression de 1929 ? Ou allons-nous à l’inverse vers les excès de consommation et la créativité culturelle des Années Folles qui avaient marqué la fin de la première guerre mondiale et de l’épidémie de grippe espagnole ? Comparaison n’est pas raison, et si les scénarii d’évolution sont toujours aussi incertains, deux tendances sont en revanche plus que probables.

  • Premièrement, la crise économique va entraîner des changements durables, et surtout accélérer des tendances préexistantes (digitalisation, automatisation…).
  • Deuxièmement, la crise renforce plus que jamais la nécessité de faire évoluer plus en profondeur les entreprises françaises.

L’évolution culturelle des entreprises est au cœur des transformations multiples auxquelles sont confrontées les organisations depuis quelques années. Au-delà de leur viabilité économique à court terme (trésorerie, économies d’échelle…), seules survivront à la crise les entreprises qui se réinventeront et dont les dirigeants seront capables de définir une nouvelle vision, d’incarner les valeurs et le changement, d’engager leurs collaborateurs au service d’une meilleure expérience client. Avec l’explosion forcée du télétravail, on assiste à une transformation accélérée de la culture au travail. Celle-ci doit reposer sur davantage de confiance, de bienveillance, d’agilité et sur l’intégration de l’exécution à la stratégie, aux antipodes des modes de management de bien trop d’entreprises françaises. Depuis une quinzaine d’années que j’accompagne la transformation des entreprises à l’international, je pense que c’est précisément là où le bât blesse en France.

Forts de nombreuses conversations avec nos clients et d’une étude menée fin avril auprès de plus de 1,100 consommateurs français, voici une première esquisse du tableau qui semble se dessiner pour les mois qui viennent autour de 5 tendances:

  1. La quête de sens : au-delà de la responsabilité sociétale. Avant la crise, 62% des consommateurs français accordaient de l’importance à la responsabilité sociétale des entreprises ; notamment le respect de l’environnement et de la vie privée. Ce phénomène s’accélérera avec la prise de conscience de la nécessité de lier production locale et moindre dépendance aux fournisseurs, impact sur l’écologie et contrôle sanitaire. Le débat polémique sur l’application StopCovid et la privation de libertés liée au confinement laissent présager que la notion de vie privée s’intègrera dans la conscience quotidienne des citoyens. D’autres valeurs clefs comme la famille, la solidarité, la communauté, la proximité, la frugalité, la transparence devraient émerger nécessitant de repenser les segmentations existantes.
  1. La marque valeur refuge, mais attention à la défiance envers l’engagement sociétal. La défiance des français envers les institutions accentuera le rôle des marques comme valeurs refuges. Mais attention aux sur-promesses et à l’effet boomerang ! Le feuilleton judiciaire autour d’Amazon ou la polémique sur la vente de masques par la grande distribution montrent la grande fébrilité des français et l’importance accrue accordée au traitement des employés. Il s’agit d’aller bien au-delà d’appels ponctuels à la solidarité, de quelques projets RSE ou de la définition d’une mission initiée par quelques grands groupes en début d’année avec la Loi Pacte. Une telle ambition suppose d’être capable de délivrer une expérience client exemplaire, de s’adresser à ses collaborateurs comme à ses employés, et de faire preuve d’authenticité et de transparence. Pour réussir, une telle démarche doit s’inscrire dans l’ADN des entreprises, comme cela semble être le cas pour la MAIF, Yves Rocher ou Danone et son emblématique patron.
  1. La dissonance cognitive : mauvaises habitudes contre bonnes intentions. Le déconfinement et la récession économique risquent malheureusement de mettre en contradiction nos valeurs et nos actes. Si 29% des français que nous avons interrogé disent vouloir soutenir les commerces de proximité, nombre d’entre eux risquent de disparaître à cause de la récession. Un grand nombre de consommateurs, qu’ils subissent chômage ou perte de pouvoir d’achat, ne pourront pas payer une prime pour des produits bios, éthiques ou locaux ! 73% des consommateurs français se disent inquiets de la récession à venir et plus d’un tiers épargne déjà activement.
  1. L’hybridation des parcours digitaux et magasins. Il devient plus que jamais nécessaire de repenser à la fois les parcours digitaux et en magasin, d’offrir plus de choix aux consommateurs tout en simplifiant encore l’interface utilisateur, en favorisant le sans contact (+31% d’usage pour des raisons d’hygiène), la prise de rendez-vous et la réservation par Internet, la livraison et l’installation à domicile. La qualité de l’expérience totale vécue par le consommateur favorisera les plateformes (14% n’ont jamais autant acheté sur Amazon ; +25% de ventes pour Cdiscount sur les quatre dernières semaines). 19% des consommateurs disent avoir fait leurs courses alimentaires pour la première fois sur Internet. Avant la crise, nous estimions que fin 2020, le digital ne représenterait que 6% des ventes alimentaires contre 13% pour l’ensemble du retail, un pourcentage plus faible que sur le marché anglais bien plus mature (avec 22% prévu fin 2020). Ce phénomène va s’accélérer mais ne compensera pas la baisse des ventes offline, que Forrester vient d’ailleurs de réévaluer (-10% par rapport à 2019).
  1. Une nouvelle relation à la marque. La crise va installer durablement de nouveaux modes de socialisation et d’individualisation. La réémergence du cocooning et l’explosion du temps passé sur les outils vidéos, les applications mobiles, les réseaux sociaux ou les plateformes de streaming ouvrent de nouvelles perspectives pour les marques. C’est le moment de recréer de la confiance et du lien, de passer à une démarche servicielle, de personnaliser l’expérience client, d’accélérer les initiatives de marketing conversationnel, de fidéliser ses meilleurs clients sur mobile en maîtrisant moments contextuels et notifications push, de faciliter les visioconférences au service client, de produire davantage de contenus digitaux, de tutoriels vidéos, de placement de produits.

Pour les directions marketing, cela veut dire revoir rapidement les priorités de la roadmap digitale d’autant qu’en modélisant trois scénarii de l’évolution des dépenses marketing d’ici à 2022 aux Etats-Unis, Forrester anticipe une baisse massive des dépenses offline (-34% dans le scénario le plus noir), des dépenses agences et des effectifs marketing. Seules les dépenses technologiques (marketing automation) tirent leur épingle du jeu et restent en croissance. En France, le SRI estime déjà l’impact de la crise sur le marché publicitaire digital display entre -20 et -30%.

Est-ce que certains comportements nés avec la crise, vont ensuite être rejetés, car associés à une période négative ? Comment le déconfinement va-t-il modifier le vivre-ensemble des différentes générations ? Il y a tellement d’inconnues qui modifieront la consommation que seule une analyse récurrente de l’évolution des comportements et des attitudes permettra d’y voir plus clair. Forrester affinera donc cette première perspective au fur et à mesure de l’évolution de la crise, et de l’analyse au fil de l’eau des données consommateurs, employés et dirigeants que nous collectons dans de nombreux pays.

Les clients peuvent accéder à l’intégralité de l’étude ici.

Vous pouvez également visionner le replay d’un webinar complet sur le sujet et télécharger les slides associés ici ou en cliquant sur l’image ci-dessous.